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DÉFENSE DU CONSOMMATEUR

Le 2023-01-18

DÉFENSE DU CONSOMMATEUR.

Lou-Andreas SALOMÉ (1861-1937) est une figure marquante du monde intellectuel dans la MittelEuropa au tournant du XXème siècle. Outre sa contribution à la réflexion sur la lecture philosophique et à la psychanalyse naissante, elle est également intéressante par son rapport très particulier aux langues. De par ses lointaines origines françaises et son appartenance à la haute société de la Russie des Tsars, elle parle et écrit un français remarquable, comme le russe qu’elle pratique depuis sa naissance, puisque sa famille est allemande mais installée à Saint-Pétersbourg. C’est en allemand qu’elle écrira ses œuvres.

Les Presses Universitaires de France ont publié dans « Quadrige », en 1977 Ma Vie, traduction de Lebensrückblick, textes de Lou-Andreas SALOMÉ assemblés et édités par Ernst Pfeiffer (1968).

On aurait pu penser que pour un auteur de ce niveau de qualité, la traduction, ou du moins sa révision, aurait été des plus soignées. Or même au 4ème tirage de la 9ème édition, les mêmes erreurs sont ré-imprimées, sans vergogne, à croire qu’il n’y a eu aucune relecture.

Dès la page 12, on lit : « … bien que cette avarice qu’on m’imposait me désolait. », au lieu de « … me désolât. » Le subjonctif est systématiquement ignoré :

-p 48 : « … bien que je n’eus aucunement conscience de le préférer … »  (au lieu de n’eusse)

-p 99 : « … Bien que je sus parfaitement que Hermann … » (ne susse)

Le reste est à l’avenant, ce qui concerne

(1) la morphologie :

-p 54 : « … je me sentie saisie d’une émotion désuète … » (sentis)

(2) les participes mal  accordés :

-p 67 : « Tout le monde nous a oublié, sauf Dieu. » (oubliés)

-p 85 : « … si quelqu’un nous avait écou … » (écoutés, car ici, le nous désigne plusieurs personnes).

-p 155 : « … si nous nous sommes créés des ennemis et avons perdu des adeptes … » (créé)

(3) le non-respect des genres :

-p 26 : « cette homme-Dieu apparut en plus comme l’ennemi … »

-p 175 : « … je ne suis toujours pas partisan de transformer trop fréquemment une pièce … » (partisane)

(4) les confusions entre singulier et pluriel :

-ibid.: « …ce qu’il étudiait …, c’était la langue et la civilisation russes … » (c’étaient)

-p 277 : « … il va se dissimuler dans les processus physiques même … » (mêmes)

(5) les fautes de construction :

-p 79 : «  … j’ai besoin que vous ayez confiance que cela reste dans le domaine de ce qui nous est commun. »

(6) l’orthographe pure et simple :

-p 117 : «  … il perdit ce côté enfant gâté qui le faisait souffrir autrefois des moindes restrictions …» (moindres)

-p 119 : « … d’un air un peu fûté » (archaïsme pour futé)

-p 136 : « … ces troubles s’immiscaient jusque dans des régions purement psychiques … » (pour s'immisçaient)

(7) les incorrections

-p 161 : « … son absence serait par contre une erreur des plus funestes… »

-p 309 : » Comme Lou A.-S. préférait récrire une idée plutôt que d’en corriger la première version … » (une idée n’est pas une phrase, la première fois on l’écrit, la seconde, on la reformule, mais récrire ou réécrire n’a pas de sens).

L’absence de relecture vaut aussi pour l’anglais, puisqu’on lit :

-p 313 : »My sister, my spose, a biography of Lou-Andreas SALOMÉ » (pour : my spouse)

 

On remarquera l’humour involontaire du traducteur qui, en note (p. 305), précise : « la formule de LAS s’écarte plus de la norme que la traduction française ne le fait. » (Sic !) Décidément, on a connu les PUF plus exigeantes vis-à-vis de leurs produits!

La relation en traduction

Le 2021-06-04

J’ai  toujours eu, et comme traducteur et comme philosophe en réflexion sur ma pratique de traducteur, une fascination pour ce que je tiens pour le paradoxe premier de la traduction,  le fait que puissent être vraies,  en même temps, les deux affirmations apparemment inconciliables :

(a) tout se traduit,

(b) tout n’est pas traduisible.

Il m’a donc fallu chercher

- à quelles conditions une équivalence de deux énoncés dans deux langues distinctes peut être considérée comme une non-traduction ;

- et quelles sont alors les conditions de possibilité d’une traductibilité généralisée.

Il est clair qu’il y a beaucoup plus à apprendre des problèmes, peut-être même des échecs, de traduction.

Et que peut-on apprendre des détails qui accompagnent parfois le classement d’une supposée équivalence en non-traduction ? Sont-ils instructifs ?

(On me dit que {Engl. b} équivaut à {Fr. a} ; je dis quant à moi que b ne traduit pas a. Le cheminement par lequel je parviens à cette certitude est-il utile à d’autres cas, peut-il se reporter à d’autres situations ?)

J’observe également que l’on interroge assez peu la nécessité de traduire (c), et son symétrique, le besoin de non-traduction (d).

(c) lorsque Duns Scot, comme toute la philosophie médiévale d’expression latine, étudie l’haecceitas,  il n’a pas pour projet de contester ce qu’en dit toute la tradition dite scolastique ; à quoi donc peut bien correspondre le besoin qu’il éprouve de créer le néologisme thisness, terme qui deviendra le point de départ d’un concept en constante évolution jusqu’à l’époque actuelle avec Heidegger et Deleuze ?

(d) Le besoin de non-traduction habite lune bonne part du monde contemporain, il y aurait tout un zonage à faire en partant de ce ‘tic de mondialisation’ ; en France lorsque la population s’est mise à parler du COVID, les élites ont imposé la COVID, en prétendant imiter l’anglais — langue dans laquelle les noms communs n’ont justement ni masculin ni féminin !  J’ai de même analysé quelques récits de voyages dont les auteurs laissent systématiquement certains énoncés dans leur langue d’origine, au risque de ne pas être compris.

(e) Je suis membre d’une association de professionnel(le)s de la traduction ; à ce titre, je reçois régulièrement une revue fort intéressante qui ouvre une colonne aux adhérents qui souhaitent parler de leur expérience. Cette page est lassante au plus haut point ; il n’y a jamais le moindre appel au dialogue ou à un point de vue divergent, et le schéma de la confession est toujours le même : « j’ai eu la chance de …, au début je ne trouvais rien…, tout à coup la lumière est advenue …, mon auteur m’a couvert(e) d’éloges, maintenant je comprends tout… »

Quelle erreur ! Traduire c’est s’oublier ; sans l’oubli de soi, il n’est pas de geste traducteur.

A,  cet égard, la notion de traduction comme relation est du plus haut intérêt.

(f)  pour l’esprit latin, relatio présuppose une antériorité ; la relation , c’est ce qui la distingue de la référence, c’est avoir porté, c’est l’acte d’avoir porté, rapporté, mis en rapport etc. 

Peut-on partir de couples de contraires permettant d’analyser nos pratiques ? Par exemple relation / individuation, lien / totalité, solidarité / indépendance, affect / indifférence, co-opération / autarcie, transfert / contre-transfert, analyse / névrose, altérité/ narcissisme etc.

Pour cette approche de la traduction-relation, le projet « archipélagique » que vous proposez me séduit. Je ne suis pas universitaire, malgré les titres qui m’auraient permis de l’être, et les nombreuses vacations que j’y ai faites.

*

Traduire c’est s’oublier ; sans l’oubli de soi, il n’est pas de geste traducteur.

A,  cet égard, la notion de traduction comme relation est du plus haut intérêt.

(f)  pour l’esprit latin, relatio présuppose une antériorité ; la relation , c’est ce qui la distingue de la référence, c’est avoir porté, c’est l’acte d’avoir porté, rapporté, mis en rapport etc. 

FELIBRE;

Le 2015-09-17


Pourquoi, en  1854, quelques valeureux défenseurs de la langue occitane se réunissent-ils, autour de Roumanille, en un cercle dit du Félibrige ? -- Le nom de félibre était pour certains un synonyme de « sage », en quelque sorte un « docteur »; le mot sort tout droit d’un cantique populaire « Li sèt felibre de la Lèi » (les sept félibres de la Loi), dont Paul Souchon, le fils spirituel de Frédéric Mistral, rappelle qu’il est en fait une déformation de « Lou Sefèr, libre de la Lèi » (Le Sépher, livre de la Loi).  Appropriation populaire, au risque de la distorsion, d’un savoir ancestral, tout le programme de ré-évaluation de la langue d’oc est déjà là.


 

Media (3) : vue de dos (fin).

Le 2013-02-21

III.

Quelques jours plus tard, je redécouvre la même image dans un tout autre environnement. Elle apparaît sur l’écran de mon ordinateur, où non seulement elle n’est plus isolée mais n’est qu’un rectangle parmi d’autres. Le seul et étrange point commun est un « mot-clé » qui n’a plus rien à voir avec la personne représentée : « cheval de Turin ».

Après enquête, je comprends que j’avais sous les yeux une photo extraite d’un film dont le sujet est l’épisode qui fait perdre la raison à Friedrich Nietzsche un triste jour de 1889 où il vit, dans une rue de Turin, un individu trop peu humain s‘acharner sur son propre cheval, épuisé ou rétif. L’histoire est relatée du point de vue de la fille de ce cocher ; le rôle est tenu par celle qui apparaît sur la photo.

Peu après, je vis changer l’image : tout ce que j’avais pu y lire, tout ce que j’avais cru proche et qui m’avait si spontanément imprégné commença de refluer, et quand cela fut à distance, je voyais une jeune piémontaise rêver de l’Italie naissante, songer aux travaux et aux jours, prendre son père en pitié, tout pardonner au vieux cheval, se demander surtout de quel droit ce bizarre rêveur devenu apatride s’était interposé, et si elle verrait jamais paraître en pleine lumière quelle étoffe de songe et d’esprit relie les myriades de points qui écrivent nos vies.

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Media (3) : Vue de dos

Le 2013-02-21

I.

 

Je la vois de dos, elle ne m’a bien sûr ni vu ni entendu approcher. Assise devant l’unique fenêtre, elle semble absorbée dans l’observation  du dehors. On la dirait plongée dans une longue réflexion, mais peut-être essaie-t-elle tout simplement de tuer l’attente par une observation de tous les détails du paysage.

Elle a des cheveux blonds et soyeux, porte une jupe longue et un châle noir tricoté à grosses mailles.

Pour autant que je sache, nous ne nous sommes jamais rencontrés. Il ne peut s’agir d’une photo que nous aurions faite entre amis. Ce qui me frappe, c’est que la parfaite intégration de cette jeune femme à son environnement n’est qu’une apparence qui masque le véritable enseignement de cette scène : la façon dont le personnage se coule dans le temps de l’image.

Rien en effet de ce que je vois n’est susceptible de varier si l’on date le cliché de 1890, de 1960 ou de 2010. Certes un spécialiste décelerait des repères caractéristiques d’une époque ou d’une autre d’après  la technique de prise de vue, la sensibilité de la pellicule ou la profondeur de champ.

Ce qui me retient davantage, c’est une question qui pourrait se formuler ainsi : « Quel hier est le vôtre ? » A quel hier appartenez-vous ? Quelle relation avez-vous établie entre, non votre passé, mais le passé des autres, et votre présent. En d’autres termes, qu’est-ce qui vous est contemporain ?

II.

 

L’arrière grand’mère de ma propre grand’mère aurait eu la même attitude, dans un décor semblable, et je pourrais dire la même chose de ma plus jeune nièce à  vingt ans révolus. L’homme n’a, dit-on, pas de prise sur le temps – il arrive aussi que le temps n’ait plus de prise sur le domaine humain – sur l’ oikos.

 

Alors, le petit paysan du Nil qui ne connut Ramsès que lorsque celui-ci fut allongé dans la barque des morts, la petite « chinoise » qui deux mille ans avant notre ère, recueillait dans sa main le reflet de la lune dans l’eau de la rizière, le vieux planteur olmèque qui redoutait la pluie et ses ravinements plus que le jaguar, le lynx, et le puma, avec ceux-là aussi nous sommes frères ; ils auraient été eux aussi de tous les temps.

Media (1) : Venise.

Le 2013-01-18

Ce que je voudrais faire percevoir, c’est, à propos du fonctionnement médiatique, ce qui se passe de la seconde où vous transmettez le sens de quelque chose, un sens non-donné, le sens-pour-vous d’un événement humain. C’est là que tout se joue.

Disons un mot de Venise ! Vous en arrivez justement. Ce que vous avez vu est somptueux, sans pareil. En d’autres termes, que vous y soyez ou non, c’est d’une beauté supérieure à ce que l’on peut en dire. Mais ce soir, vous êtes une quinzaine à table, et quand on vous demande, distraitement : « Alors, Venise, c’était comment ? », vous sentez confusément que votre réponse, jusque-là informulée, sera en marge de la question. Ce dont vous voudriez vous entretenir, c’est de ce qu’est la ville pour vous, celle qui n’existe plus depuis que vous en êtes parti. Et là, personne ne va vous suivre.

Devant une gondole que je n’ai pas prise, un vaporetto s’avançait dans la brume et les piliers noirs du traghetto enfonçaient dans ma mémoire fébrile la certitude que notre bonheur nous condamne. Sur cette lagune, la mort va à la mort et les instants d’éternité que nous croyons suspendre ne font que rendre plus cruelle et plus proche encore l’inévitable échappée belle, celle sans retour vers l’ultime collapsus.

Mais tout ceci, ce n’est que vous. Aucun de vos convives, ou presque, n’est prêt à adopter votre vision. Alors, insensiblement, vous allez laisser votre discours glisser vers des rails plus convenus, et sur ce terrain commun une communication va s’établir. Sera-t-elle plus riche ? Qui peut le dire ? – En bref, vous avez ici la quintessence du fonctionnement médiatique.

Et vous-même, demandez-vous si ce que vous dites de Venise est exactement ce que fut votre expérience, est intégralement ce qui à vos yeux rend Venise si exceptionnelle ? Vous avez en fait négocié avec vous-même, c’était inévitable. Le processus médiatique n’est rien d’autre qu’une négociation imposée. Pour cette raison, en dehors de l’action, il n’y a pas de vérité. Ce qui passe par le médiat du langage impose une négociation.

MEDIA (2)

Le 2013-01-18

« [Maurice] aimait Omar Sharif et l’avait même rencontré une fois, raconta-t-il à la mère dans l’autobus, après qu’ils se furent assis ensemble sur le siège devant l’enfant. Son bras […] était passé autour de l’épaule de la mère mais sans y toucher, posé sur le dos du siège. La mère acquiesça, elle le buvait […] : son dos tout entier était une surface frémissant de sensations, de bouches béantes, une tension dirigée dans un don extrême, une tendresse extrême. Elle était entraînée, emportée, la mère : l’enfant […] voyait, terrifiée […] comment elle était entraînée. […] Maurice ressemblait à Omar Sharif comme deux gouttes d’eau.

Et Omar regarda Omar. Non, Omar regarda la mère regarder Omar dans l’obscurité de la salle de cinéma, qui regardait l’image du coin de l’œil tout en la  regardant, elle, uniquement elle, qui le regardait, mais pas vraiment, qui le voyait à travers l’Omar de l’écran, assis à côté d’elle, en train de la boire par gorgées, pendant qu’elle regardait Omar. » (Ronit Matalon : Le Bruit de nos pas, Trad. de l’hébr. (Kol Tsa’adenou) par Rosie Pinhas-Delpuech. Paris, Stock 2012-VIII, pp 260-261)

Dans cet extrait tout-à-fait remarquable d'une oeuvre exceptionnelle, le lecteur se trouve devant un cas typique, et en même temps presque universel, de médiatisation. Certes il ne s'agit pas d'événement passé au crible d'un faiseur d'opinion, mais on voit comment un premier bloc optique se superpose à un second qui tente de lui résister, mais en vain, il est tellement plus beau de substituer le visage fantasmé à velui, bien réel, qui l'évoque ! 

Humeur

Le 2012-06-29

Qu'on le veuille ou non, à quelque coterie que l'on appartienne, on doit se rendre à l'évidence : si M. Charles Taylor, le plus grand philosophe contemporain selon France-Culture, était francophone, il n'aurait pas intitulé son dernier livre L'Age séculier.  Anglophone il écrit The Secular Age ; ce que l'on rendrait parfaitement ainsi : Epoque laïque, ou l'Ere de la laïcité. Peut-être même y gagnerait-il un lectorat élargi -- moins restreint à un cercle de philosophes.

 Innocent  A moins que ce ne soit précisément ce que l'on veut éviter ...