J’ai toujours eu, et comme traducteur et comme philosophe en réflexion sur ma pratique de traducteur, une fascination pour ce que je tiens pour le paradoxe premier de la traduction, le fait que puissent être vraies, en même temps, les deux affirmations apparemment inconciliables :
(a) tout se traduit,
(b) tout n’est pas traduisible.
Il m’a donc fallu chercher
- à quelles conditions une équivalence de deux énoncés dans deux langues distinctes peut être considérée comme une non-traduction ;
- et quelles sont alors les conditions de possibilité d’une traductibilité généralisée.
Il est clair qu’il y a beaucoup plus à apprendre des problèmes, peut-être même des échecs, de traduction.
Et que peut-on apprendre des détails qui accompagnent parfois le classement d’une supposée équivalence en non-traduction ? Sont-ils instructifs ?
(On me dit que {Engl. b} équivaut à {Fr. a} ; je dis quant à moi que b ne traduit pas a. Le cheminement par lequel je parviens à cette certitude est-il utile à d’autres cas, peut-il se reporter à d’autres situations ?)
J’observe également que l’on interroge assez peu la nécessité de traduire (c), et son symétrique, le besoin de non-traduction (d).
(c) lorsque Duns Scot, comme toute la philosophie médiévale d’expression latine, étudie l’haecceitas, il n’a pas pour projet de contester ce qu’en dit toute la tradition dite scolastique ; à quoi donc peut bien correspondre le besoin qu’il éprouve de créer le néologisme thisness, terme qui deviendra le point de départ d’un concept en constante évolution jusqu’à l’époque actuelle avec Heidegger et Deleuze ?
(d) Le besoin de non-traduction habite lune bonne part du monde contemporain, il y aurait tout un zonage à faire en partant de ce ‘tic de mondialisation’ ; en France lorsque la population s’est mise à parler du COVID, les élites ont imposé la COVID, en prétendant imiter l’anglais — langue dans laquelle les noms communs n’ont justement ni masculin ni féminin ! J’ai de même analysé quelques récits de voyages dont les auteurs laissent systématiquement certains énoncés dans leur langue d’origine, au risque de ne pas être compris.
(e) Je suis membre d’une association de professionnel(le)s de la traduction ; à ce titre, je reçois régulièrement une revue fort intéressante qui ouvre une colonne aux adhérents qui souhaitent parler de leur expérience. Cette page est lassante au plus haut point ; il n’y a jamais le moindre appel au dialogue ou à un point de vue divergent, et le schéma de la confession est toujours le même : « j’ai eu la chance de …, au début je ne trouvais rien…, tout à coup la lumière est advenue …, mon auteur m’a couvert(e) d’éloges, maintenant je comprends tout… »
Quelle erreur ! Traduire c’est s’oublier ; sans l’oubli de soi, il n’est pas de geste traducteur.
A, cet égard, la notion de traduction comme relation est du plus haut intérêt.
(f) pour l’esprit latin, relatio présuppose une antériorité ; la relation , c’est ce qui la distingue de la référence, c’est avoir porté, c’est l’acte d’avoir porté, rapporté, mis en rapport etc.
Peut-on partir de couples de contraires permettant d’analyser nos pratiques ? Par exemple relation / individuation, lien / totalité, solidarité / indépendance, affect / indifférence, co-opération / autarcie, transfert / contre-transfert, analyse / névrose, altérité/ narcissisme etc.
Pour cette approche de la traduction-relation, le projet « archipélagique » que vous proposez me séduit. Je ne suis pas universitaire, malgré les titres qui m’auraient permis de l’être, et les nombreuses vacations que j’y ai faites.
*
Traduire c’est s’oublier ; sans l’oubli de soi, il n’est pas de geste traducteur.
A, cet égard, la notion de traduction comme relation est du plus haut intérêt.
(f) pour l’esprit latin, relatio présuppose une antériorité ; la relation , c’est ce qui la distingue de la référence, c’est avoir porté, c’est l’acte d’avoir porté, rapporté, mis en rapport etc.