« [Maurice] aimait Omar Sharif et l’avait même rencontré une fois, raconta-t-il à la mère dans l’autobus, après qu’ils se furent assis ensemble sur le siège devant l’enfant. Son bras […] était passé autour de l’épaule de la mère mais sans y toucher, posé sur le dos du siège. La mère acquiesça, elle le buvait […] : son dos tout entier était une surface frémissant de sensations, de bouches béantes, une tension dirigée dans un don extrême, une tendresse extrême. Elle était entraînée, emportée, la mère : l’enfant […] voyait, terrifiée […] comment elle était entraînée. […] Maurice ressemblait à Omar Sharif comme deux gouttes d’eau.
Et Omar regarda Omar. Non, Omar regarda la mère regarder Omar dans l’obscurité de la salle de cinéma, qui regardait l’image du coin de l’œil tout en la regardant, elle, uniquement elle, qui le regardait, mais pas vraiment, qui le voyait à travers l’Omar de l’écran, assis à côté d’elle, en train de la boire par gorgées, pendant qu’elle regardait Omar. » (Ronit Matalon : Le Bruit de nos pas, Trad. de l’hébr. (Kol Tsa’adenou) par Rosie Pinhas-Delpuech. Paris, Stock 2012-VIII, pp 260-261)
Dans cet extrait tout-à-fait remarquable d'une oeuvre exceptionnelle, le lecteur se trouve devant un cas typique, et en même temps presque universel, de médiatisation. Certes il ne s'agit pas d'événement passé au crible d'un faiseur d'opinion, mais on voit comment un premier bloc optique se superpose à un second qui tente de lui résister, mais en vain, il est tellement plus beau de substituer le visage fantasmé à velui, bien réel, qui l'évoque !