III.
Quelques jours plus tard, je redécouvre la même image dans un tout autre environnement. Elle apparaît sur l’écran de mon ordinateur, où non seulement elle n’est plus isolée mais n’est qu’un rectangle parmi d’autres. Le seul et étrange point commun est un « mot-clé » qui n’a plus rien à voir avec la personne représentée : « cheval de Turin ».
Après enquête, je comprends que j’avais sous les yeux une photo extraite d’un film dont le sujet est l’épisode qui fait perdre la raison à Friedrich Nietzsche un triste jour de 1889 où il vit, dans une rue de Turin, un individu trop peu humain s‘acharner sur son propre cheval, épuisé ou rétif. L’histoire est relatée du point de vue de la fille de ce cocher ; le rôle est tenu par celle qui apparaît sur la photo.
Peu après, je vis changer l’image : tout ce que j’avais pu y lire, tout ce que j’avais cru proche et qui m’avait si spontanément imprégné commença de refluer, et quand cela fut à distance, je voyais une jeune piémontaise rêver de l’Italie naissante, songer aux travaux et aux jours, prendre son père en pitié, tout pardonner au vieux cheval, se demander surtout de quel droit ce bizarre rêveur devenu apatride s’était interposé, et si elle verrait jamais paraître en pleine lumière quelle étoffe de songe et d’esprit relie les myriades de points qui écrivent nos vies.